Rencontres

Nadège Mouyssinat

Nadège Mouyssinat est artiste céramiste, orfèvre de la porcelaine.

Introduite à Anne-Sophie Latil par Fabrice Bana, elles commencent rapidement à travailler ensemble. Une pièce de Nadège est aujourd’hui exposée au showroom Courcelles de la designer Charlotte Biltgen. Découvrez son œuvre, son processus créatif et ses inspirations.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

 

Depuis l’enfance, je me suis toujours rêvée « inventrice ». Je passais mon temps à fabriquer des objets et j’étais fascinée par le fait de matérialiser une invention, une idée.

Après une école de Métiers d’Art à Limoges où j’ai découvert la céramique, le design produit et l’atelier, j’ai commencé à travailler dans les différentes manufactures de porcelaine haut de gamme : les porcelaines Raynaud en apprentissage, puis la Maison Bernardaud et enfin Coquet. J’aime travailler à haute intensité, être dans le détail, délivrer un résultat parfait. Il y a une véritable magie dans ces productions ou l’on oublie la trace de l’humain alors que tout a été fait à la main.

J’ai toujours eu envie d’être indépendante. Après dix années passées dans les grandes Maisons, j’ai donc commencé à enseigner à temps partiel à l’atelier porcelaine de l’École Supérieure d’Art de Limoges (ENSA) tout en me consacrant à ma production personnelle dans mon propre atelier à Limoges. En 2018, je reçois le prix de la Jeune Création Métiers d’Art par Ateliers d’Art de France.

Comment décririez-vous le processus de création d’une pièce en porcelaine ?

 

Il y a quelque chose de très intellectuel dans la porcelaine. On est loin du fantasme du potier qui crée sur l’instant, les mains recouvertes de glaise.

Le temps de gestation (réflexion et production des moules) est très long et le temps de production assez répétitif. La nature d’un moule induit la répétition. Mes productions jouent avec cette répétition, ce sont souvent des modules qui se symétrisent, qui se dupliquent… Il faut souvent compter plusieurs mois avant de créer une première pièce ! Je trouve cela magique de rêver un objet pendant tout ce temps et de le voir enfin apparaître. Je me souviendrai toujours de l’émerveillement que j’ai eu lors de ma formation : partir le soir en laissant l’objet dans le four et le découvrir le matin. Il y a une transformation qui s’opère qui est indépendante de notre volonté, quelque chose qui nous échappe.

Je travaille aujourd’hui beaucoup avec des dégradés et des effets de matière qui peuvent évoluer aléatoirement lors de la production et de la cuisson. C’est précis, millimétré, mais aussi hors de contrôle.

Votre travail oscille entre l’art et l’artisanat, comment vous définissez-vous ?

 

Je suis au croisement de l’art, du design et de l’artisanat d’art, sans me reconnaître complètement dans chacune de ces catégories. Comme un designer, je passe beaucoup de temps à travailler ma ligne jusqu’à ce qu’elle soit parfaite. Je viens d’ailleurs de réaliser une console et je n’exclus pas de refaire des objets un jour. Pour une exposition future, je réalise une installation protéiforme avec des moules, des dessins. On se rapproche ici de l’art contemporain.

Enfin, il y a l’aspect extrêmement technique de la porcelaine qui demande une maîtrise parfaite.
Je trouve ma force dans cette hybridité et dans cette ouverture à ces différents mondes.

Quelles sont vos inspirations ?

 

Je dis souvent que j’ai trois cerveaux : artiste, artisan et designer. L’inspiration va toujours démarrer de l’un de ces trois univers : une idée technique que je vais avoir envie d’expérimenter, des inspirations plus larges dans l’histoire de l’art ou dans la littérature, mais aussi parfois simplement des visions de lignes, de cambrures que je veux mettre en volume. Je remplis des carnets de croquis, notes et citations… et je commence à créer lorsque je trouve des liens entre les différentes inspirations de ces trois domaines.

Quels sont vos projets à venir ?

 

Je travaille sur une exposition à Sèvres sur l’interprétation du monde vivant dans la céramique du XVIe siècle à la période contemporaine. Ma création réunira ces différents univers dans lesquels je m’inscris. La plus grande pièce en porcelaine fera près de 2m50. j’ai également écrit un texte sur le parallèle entre le processus porcelainier et le processus de génération du vivant (la multiplication des cellules, l’idée de matrice et de reproduction que l’on retrouve dans les moules). Je vais aussi y intégrer des parties techniques, des moules ou des supports de cuisson.

Comment votre maîtrise et votre savoir-faire influent sur votre travail aujourd’hui ?

 

Il est primordial pour moi de faire connaître ce patrimoine. La porcelaine est un savoir-faire unique car il y a un métier à part entière à chaque étape de production : sculpture du plâtre, gravure, moulage, émaillage, décors…

Ce qui m’intéresse aujourd’hui c’est de voir comment je peux réinterpréter ce que j’ai appris dans les grandes Maisons. Nous avions parfois des défauts sur les pièces que nous produisions : des veines de coulage, des traces, etc. alors que l’objectif était d’avoir une production très uniforme. Nous devions donc comprendre d’où venaient les défauts pour les éviter. Aujourd’hui je trouve une vraie esthétique dans ces défauts. Les veines de coulage par exemple, témoignent de la mémoire du passage de la pâte dans le moule.

Ce que j’ai appris en essayant de contrôler ces défauts, j’en ai aujourd’hui fait un outil pour les exploiter comme médium esthétique. C’est une manière de détourner le processus industriel.

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